Carte sur table

L’heure des vérités est finalement arrivée. Un début de nouvelle année chargée en rebondissements à vrai dire. Après des mois passés à enquêter et après des semaines à tourner en rond suite aux résultats de ce que j’avais découvert, j’ai finalement décidé de livrer toutes les preuves découvertes au Conseil des sorcières afin qu’elles m’aident à lever le voile sur tout ce qui s’est passé avec les EFL cette année et que les coupables soient enfin exposés au grand jour. Je dois bien reconnaître que pendant les semaines qui ont suivies, j’ai fait profil bas et je n’ai plus été en contact avec un seul des miens, redoutant que certains des membres de notre organisation ne cherchent à m’éliminer en apprenant ce que j’avais fait ou ne tentent de détruire les preuves accumulées. Par chance, il se trouve que les coupables ont été rapidement arrêtés, du moins en grande partie. Les sorcières du Conseil ont vraiment fait un travail formidable. Quant à moi eh bien, il est sans doute temps de prendre du recul avec les Fratres. C’est du moins ce que je pensais avant que certains membres hauts placés du Vatican ne viennent à ma rencontre.

Je reste bouche bée en les entendant me proposer un poste de dirigeante à Londres ainsi qu’un objectif de former un nouveau Conseil. Si je ne réponds pas tout de suite, sur le moment je songe presque aussitôt à refuser. J’ai beau avoir fait preuve d’une certaine rigueur toute ma vie parmi les Fratres et fait un maximum de choses selon les règles, on ne peut pas dire cependant que j’ai été la plus exemplaire d’entre eux ces derniers mois. Une dirigeante entretenant un accord secret avec le roi du Nord ça n’est pas vraiment le genre de pub dont les Fratres ont besoin en ce moment, et puis ça risque également de me faire atterrir au même endroit que les anciens dirigeants si ça vient un jour à se savoir. Néanmoins, le fait d’accepter cette proposition et de créer un nouveau Conseil impliquerait également le fait de repartir sur des bases plus saines au sein de nos dirigeants. Et à vrai dire, ce n’est pas la seule raison qui m’a poussé à hésiter. Monter en grade chez les Fratres, ça veut également dire avoir accès à toutes les archives les mieux gardées du Vatican, autant dire que l’une d’entre elle m’intéresse tout particulièrement... Une réponse à une question que je me pose depuis bien trop longtemps. Et si j’acceptais ce poste provisoirement ? A vrai dire je sais mieux que personne que les choses ne fonctionnement pas aussi simplement chez les Fratres. Il faut donc prendre une décision, maintenant.  

Ma réponse est finalement positive. Etant donné le remaniement interne qui est en train de se produire, c’était peut-être la meilleure décision à prendre... C’est du moins ce que je croyais avant de voir toutes les piles de dossier s’accumuler sur mon bureau les unes après les autres. Seigneur, je déteste la paperasse... Ceci dit, avec toutes les propositions, les nouvelles attaques à mettre en place, nous n’allons pas manquer d’occupation. De nouvelles missions vont être attribuées aux Fratres, et elles seront divisées selon les différents quartiers de Londres. Maintenant que nous n’avons plus l’Alliance sur le dos, la chasse aux vampires devrait être plus facile. Ceci dit, je ne peux pas nier que le clan du Nord me pose problème... Si je n’ai pas vraiment envie d’envoyer les Fratres attaquer Alex, je ne pourrais pas le cacher indéfiniment. Néanmoins, je pourrais sans doute en limiter un peu l’impact durant un temps et cibler davantage d’attaques dans le Centre et le Sud en prétextant que la meute du Nord s’occupe déjà en partie du clan du Nord. Pourquoi déjà songer à tout cela ? Ma dernière rencontre avec Alex m’a perturbée... Je sais que je ne dois pas y penser, mais je ne peux pas m’en empêcher. Et en même temps nous sommes ennemis bon sang... Pourquoi est-ce qu’on ne se comporte pas comme tels ? Oh et puis zut, le fait qu’un vampire Rice se soit emparé du Centre de Londres me permettra sans doute de garder les Fratres occupés un moment. Je n’en ai pas encore fini avec eux alors apprendre en plus qu’il y en a plusieurs ne m’enchante pas vraiment.

Redorer l’image des Fratres ne sera sans doute pas de tout repos, c’est pourquoi la première étape est de s’entourer d’une bonne équipe. En parallèle de mes recherches, l’un des premiers changements que je tiens également à mettre en place est la répartition d’un nouveau groupe de Fratres dont l’objectif sera de former et aider les humains à se défendre face aux surnaturels. C’est sur ces dernières recherches que je finis par m’arrêter en m’apercevant que c’est déjà l’aube et qu’il serait temps de faire un break. Avec tout ça, je n’ai même pas encore eu le temps de fouiller le seul dossier que je voulais vraiment. Je ne tiens pas à attendre davantage, le moment est enfin venu alors direction les archives...

Je finis par trouver un grand dossier comportant le nom de la famille Coleman. Incroyable... Toutes les missions de mes parents et de leurs ancêtres figurent à l’intérieur. Je commence à le parcourir, avant de tomber sur cette fameuse nuit où tout a basculé. Un seul nom figure : « Adrian Mancini ». Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Ce n’est pas la première fois que je l’entends prononcer. Peu de temps avant sa disparition, Declan m’avait également parlé d’un certain « A. Mancini » qui le menaçait ainsi que sa famille. Je ne peux pas croire qu’il puisse s’agir d’une simple coïncidence dans la mesure où ils ont tous disparus peu de temps après. Pourquoi ? Comment ? Je commence à fouiller davantage le dossier, avant de découvrir que l’une des dernières victimes de mes parents s’est trouvé être l’un des infants de cet Adrian Mancini, qui n’est autre que le roi vampire d’Italie. Je referme le dossier et reste silencieuse quelques instants, avant de prendre mon ordinateur et de me rendre sur la généalogie des Mancini, commençant à lister tous les Adrian Mancini en question. L’âge réel d’Adrian n’étant pas indiqué sur le dossier mais étant estimé à plus de 300 ans, je fais mes recherches sur toutes les personnes ayant porté le même nom à partir de cette époque : 359 ans, 412 ans, 475 ans... 510 ans ! Je n’ai jamais vu de vampire aussi âgé. Pour le dernier, ce n’est même plus une mission, c’est presque du suicide. Mais lequel d’entre eux est celui qui a survécu toutes ces années ? Une boule se forme à l’intérieur de mon estomac en me demandant s’il pourrait s’agir du plus âgé d’entre eux tout en continuant d’espérer qu’il s’agisse du plus jeune. Mais une image déplaisante commence à prendre place dans mon esprit. Si Alex possède le nom d’Adrian depuis le début, il doit forcément connaître son âge... Quel aurait été le meilleur moyen pour s’assurer que je ne vienne pas lui causer d’ennuis une fois notre collaboration terminée que de me livrer le nom d’Adrian en dernier ? Stratégie, toujours la stratégie... Mais je ne peux pas le croire, pas après les derniers événements... Pourtant plus j’y songe, et plus cette théorie prend tout son sens.

Je referme le dossier et me précipite vers ma chambre avant d’attraper deux pistolets chargés. Je ne prends même pas le temps d’enfiler ma combinaison de combat et enfile une veste par-dessus mon jean et mon débardeur noir avant de quitter la pièce et me diriger vers l’appartement d’Alex. Plus les minutes passent, plus la colère me gagne malgré moi. J’ignore quelle vérité serait la plus dure à accepter : le fait qu’Alex ait peut-être tout prévu depuis le début jusqu’à la façon dont se terminera notre dernière rencontre, ou le fait que cette révélation puisse réellement me blesser malgré toutes les mises en garde qu’on m’a pourtant déjà faites. Je dois être sûre... Non en fait je vais simplement faire ce que j’aurais dû faire depuis le début. Arrivée devant la porte, je tire un coup avec mon silencieux dans la poignée de la porte avant de porter un grand coup de pied contre la serrure et enfoncer la porte pour débarquer dans le salon. La situation dans laquelle il se trouve ou la tenue qu'il porte semblent être ma dernière préoccupation pour le moment. Un pistolet dans chacune de mes mains, je pointe les deux armes en direction du vampire.

« Vous avez tout prévu depuis le début n’est-ce pas ? Vous avez toujours su comment ça finirait une fois que vous m’auriez donné son nom... Adrian Mancini... Je veux savoir son âge... »

Je n’y vais pas par quatre chemins et aborde directement le sujet Adrian. Oui, je suis au courant pour Adrian, même si une partie des détails m'échappent encore, sans oublier les derniers noms de la liste. La seule chose que je sais, c’est que son âge répondra sans doute à beaucoup des questions que je me pose à cet instant. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, c’est plus de la tristesse que de la colère qui se fait entendre au premier abord derrière cette première affirmation lorsque je m’adresse Alex. Malgré tout, mon ton reste ferme et sec lorsque je m’adresse à nouveau à lui, mes armes toujours pointées sur lui.

« On vous a toujours décrit comme un grand stratège. J’ai songé à vous tuer un nombre incalculable de fois avec ou sans ces noms alors ça m’était parfaitement égal... Jusqu’à ce que je commence à remettre cette certitude en question. Je veux la vérité, est-ce que tout ça était calculé depuis le début ? Je veux son âge ou c’est votre tête que je prends... »

Mêler à la fois confession et menace dans une même phrase, voilà qui n’arrangera sans doute rien à la confusion actuelle de la situation. Mais je ne veux plus tourner autour du pot. C’est pourquoi je lui dis ouvertement que oui, j’avais bel et bien remis en question mon objectif premier qui consistait à le tuer et ce d’autant plus suite à notre dernière rencontre. Mais nous sommes ennemis, encore plus aujourd’hui même si nous n’agissons pas comme tels et c’est justement le problème. Je veux savoir la vérité, afin que cette dernière me donne le courage de faire ce que je n’ai toujours pas réussi à faire jusqu’à présent. C’est pourquoi pour la première fois, mes propos se transforment en réelle menace envers le vampire. Reste à savoir ce qui en découlera.     

Savoir où se trouve l’abattoir... Certes, c’est un fait que jusqu’à présent j’avais toujours ignoré. Si je n’avais pas accepté ce poste, qui sait combien de temps cela aurait pu encore durer, sans doute pas aussi longtemps qu’on pourrait le croire. C’est le problème quand on recherche un vampire qui en a également après vous sans même que vous en ayez conscience. Dans le meilleur des cas, peut-être qu’Alex aurait pu m’apprendre un jour le nom d’Adrian. Peut-être même qu’il m’aurait révélé son âge véritable, qu’il aurait essayé de me dissuader de chercher à me venger contre lui. Mais si je n’avais pas accepté ce poste chez les Fratres, jamais je n’aurais appris le fin mot à propos de cette poursuite sans fin. Jamais je n’aurais su que même si après toutes ces années je me décidais finalement à renoncer, Adrian ne renoncerait pas. La seule chose qui m’a protégée tout ce temps, c’est d’avoir toujours été entourée par les Fratres et de ce fait à l’abri. Je prenais toutes les missions qu’on me donnait, j’agissais avec Daniel sans jamais poser de questions, quoi qu’il se passait nous étions toujours en groupe. Si tout a commencé à changer au moment où j’ai cru perdre mon binôme, j’ai continué à vivre durant près d’un an à l’hôtel des Fratres et n’ai jamais laissé d’adresse propre. Désormais, tout est différent. Je n’ai plus besoin de savoir où se trouve l’abattoir. Il a juste à savoir où je me trouve et venir à moi.

Je sais que j’énerve Alex au moment où je viens tirer dans ce vase et effleurer sa taille. Il n’est pas le genre de vampire à essayer de dissimuler une quelconque peur. Il est agacé, je peux le sentir rien qu’au ton de sa voix. C’est peut-être volontairement ce que je cherche à faire afin de le pousser à m’attaquer et me donner ainsi une bonne raison de le combattre. Chez les Fratres, c’est ce que nous faisons toujours pour résoudre les problèmes : nous combattons. C’est plus facile, on ne se pose pas de question, on ne réfléchit pas, on attaque, on tue, on survit. Mais Alex, il ne répond toujours pas à ma question malgré les armes que je continue d’agiter face à lui. Non, au lieu de ça, il me fait remarquer que je continue à agir de manière inconvenante, ce qui a le don de m’énerver encore plus. Pourtant au lieu de tirer, j’agis complètement à l’encontre de ce qu’un Fratre ferait en temps normal. Je m’avance jusqu’à être au plus près de lui, pistolet sous sa gorge tandis que je ne lui donne que davantage de raisons de vouloir en finir autant que moi tant qu’il le peut encore. N’allez pas me demander pourquoi je fais ça... Ma conscience et mon subconscient auraient deux réponses différentes à donner à ce sujet.

Quoi qu’il en soit, je dois bien avouer m’attendre à tout sauf à la réponse qui suit. De tous les vampires, Alex est sans doute le seul qui pourrait véritablement être surpris des nouvelles fonctions que l’on vient de m’attribuer. Il est après tout le seul vampire en présence de qui je n’ai fait que des entorses au règlement... Entorses qui pourraient à elles seules me valoir ma place de dirigeante et mon éviction des Fratres si quelqu’un parvient un jour à le prouver. Je ne peux plus me permettre de continuer à faire de telles entorses. Mais il m’est impossible de pouvoir cacher ma surprise lorsqu’il m’annonce qu’il reste encore « une » Finnigan qu’Adrian n’a pas tuée. Je relève mon regard vers le vampire, visiblement troublée.

« De qui parlez-vous ? »

Le fait qu’il s’agisse d’une femme retire malheureusement aussitôt la possibilité qu’il puisse s’agir de Declan. La seule de leur sœur que j’ai connue était Erin, pourtant elle est toujours sur la liste des disparus. Alors à qui est-ce qu’Alex peut-il faire allusion ? Je l’ignore, mais je me rends bien compte que le vampire ne lâchera pas davantage d’informations dans ces conditions.

La suite ne me plait pas. Mes erreurs commencent à se voir et Alex en a parfaitement conscience. Lorsqu’il me demande de quelle manière on est censé en finir, que s’il l’avait souhaité il m’aurait laissée entre les mains d’Ethan ou en m’aurait directement envoyée chez Adrian, je suis à nouveau troublée. Je ne suis pourtant pas la seule à commettre des erreurs ce soir. Pourquoi diable est-ce qu’il me dit ça ? Est-il donc à ce point persuadé que je ne vais pas tirer ? Quand bien même ce serait le cas, n’est-ce pas prendre un trop gros risque pour un vampire ? Cette situation n’est pas logique… Rien n’est logique et ça me perturbe ! Qui plus est, mon impulsivité se fait beaucoup trop ressentir face à lui, et pendant un instant je me demande si ça ne va pas être pire lorsqu’il me demande de prendre une décision maintenant et de déposer les armes ou de viser juste. Sait-il seulement que je n’ai jamais manqué une cible ? Que j’ai volontairement tiré dans ce vase parce que je n’arrive pas à me décider ? Pourquoi est-ce qu’il veut me donner envie d’appuyer sur la gâchette ? Les battements de mon cœur s’accélèrent malgré moi. Je ne peux plus continuer à hésiter dans mes décisions à prendre concernant le vampire. Je n’ai jamais hésité au sein de toute ma carrière, pas une seconde, mais maintenant que je suis face à lui la vérité s’impose à moi : je suis incapable de tirer. Mais baisser les armes... Baisser les armes...

« Je... JE NE PEUX PAS ! »

Je m’énerve, sans doute davantage contre moi-même à cet instant que contre lui. Mes mains n’arrivent pas à desserrer leur prise sur mes armes. Ma volonté n’a plus d’emprise, mon corps agit tout seul et bloque à l’idée que je puisse baisser ma garde dans une situation censée être critique, d’autant plus après tout ce que je lui ai dit. A cet instant, ce sont tous mes anciens entrainements avec les Fratres qui me reviennent en pleine figure. Faire tomber une arme en présence d’un ennemi potentiel, c’était se retrouver blessé avec cette même arme dans les secondes qui suivaient. Faites tomber un poignard, votre entraineur vous poignardait avec. Faites tombez un fusil et il vous tirait dessus, sans vous tuer bien sûr, mais cela faisait suffisamment mal pour nous dissuader de refaire deux fois la même erreur. Quand on a vécu toute sa vie avec des automatismes, il peut être assez dur de s’en défaire même dans le cadre d’une exception. Et pourtant...

« J’ai beau avoir cherché un millier d’excuses pour essayer de trouver une raison à vos actes, il n’y en a pas ! Vous n’avez rien retiré de notre accord alors que vous auriez pu. Vous m’avez guérie alors que vous ignoriez que mon dossier aurait pu condamner votre bras droit. Je suis presque sûre que votre propre sang est aussi précieux que le nôtre l’est pour nous et que vous ne l’offrez pas à tout bout de champ. Vous savez que je continuerai à chasser les vampires, alors pourquoi ? Notre expression est presque toujours uniquement passée par nos armes et si elles sont aussi souvent pointées sur vous c’est parce qu’en vérité... Je n’ai aucune envie de vous tuer, et je ne sais pas pourquoi. »

Depuis que je connais Alex, c’est la première fois que je lui avoue n’avoir aucune envie de le tuer. Certes, ça pourrait paraître un peu bizarre de l'avouer avec une arme pointée sous le nez, mais pour une Fratre, c'est déjà un pas de géant. En fait, c’est la première fois que je laisse exprimer à voix haute et directement à Alex les pensées qui me trottaient dans la tête depuis des mois. Si mes armes me servent souvent d’attaque, elles sont également ma seule barrière face à certaines pensées complètement irrationnelles. Plus je sens l’insécurité grandir, plus j’en abuse et autant dire que ces derniers temps j'en ai quelque peu abusé. Pourtant, c’est finalement après avoir prononcé cette dernière phrase à Alex que je finis par descendre progressivement les bras et ouvrir les mains pour laisser retomber mes deux armes sur le sol. Bonne ou mauvaise idée ? Quelque chose me dit que je finirais bien vite par le savoir.

On pourrait croire que depuis toutes ces années j’aurais été habituée à savoir y faire avec les personnes extrêmement calmes qui ne perdent jamais leur sang-froid si on considère le fait que j’ai passé une bonne partie de ma vie aux côtés de Daniel. Et bah visiblement, ce n’est pas le cas, du moins pas avec Alex ! Parce que la seule demande du vampire depuis le départ, elle est tout à fait rationnelle et elle est simple, il me demande de baisser mes armes si je veux des réponses, et il s’y tient jusqu’à la fin. Ça a beau être aussi simple que bonjour, dans ma tête ça se traduit par un millier de réactions possibles alors que plus rien n’est crédible depuis le moment où je me suis avancée face à lui au lieu de tirer.

Je ne sais pas comment il fait pour rester à la fois aussi calme, stoïque et campé sur ses positions, même avec un pistolet sous la gorge. Le problème, c’est que si lui parvient à contrôler ses réactions, ce sont les miennes qui finissent par me trahir. Je suis troublée et je sais que ça commence à se voir. Mais cette entente bizarre avec Alex, elle me travaille depuis un moment car tant que je ne comprendrai pas ce qui me bloque avec le vampire, je serai incapable de m’en prendre à lui. Le problème, c’est que le lui dire reviendrait à perdre l’avantage... Avantage que je finis par perdre au moment où ce sont mes mots et non mes armes qui s’expriment en premier lieu et à ma plus grande surprise. La confession sur les ressentis ce n’est pourtant pas mon fort à l’origine et je pense que le pire à cet instant c’est de voir que le vampire ne laisse pas passer la moindre réaction. Cette situation est complètement insensée... Mais elle était sans doute indispensable pour me permettre de me faire violence et reprendre le contrôle de mes actes afin de baisser enfin mes armes.

Je ne sais absolument plus à quoi m’attendre à cet instant. Est-ce que le fait d’avoir dit ces mots était la meilleure chose à faire ou bien la pire ? En tant que Fratres, ce genre d’aveu à un vampire me conduirait tout droit à un lavage de cerveau via nos sorcières du mental et à une reprise de tous les entrainements, jusqu’à ce qu’ils soient sûrs que mon esprit ne soit plus une faiblesse qui puisse être exploitée. Etre dirigeante ne me protège pas plus que les autres contrairement aux apparences. Si le nouveau Conseil a des doutes, il agira en conséquence, même si j’en ai en partie choisi ses nouveaux membres. Mais avant de penser aux conséquences de mes actes, il vaut mieux que je reste concentrée sur Alex. Après tout, je me suis désarmée comme il le demandait depuis le début.

Je suis son regard lorsqu’il vient croiser le mien, mais Alex étant Alex, il finit par répondre à toutes mes questions d’un trait. L’ampleur des réponses n’étant pas des moindres, j’ai à peine le temps d’en assimiler une que c’est une autre vérité qui tombe, chacune similaire à une véritable bombe. La première est probablement la pire avec l’âge réel d’Adrian. Plus de cinq siècles, c’est une déception qui ne sera pas facile à encaisser et qui ne va pas simplifier les choses... Je n’ai jamais rencontré de vampires aussi âgés mais je sais que les chances de ressortir en vie d’un affrontement avec ces-derniers sont quasi nulles. Quant à essayer de trouver ses points faibles, autant dire que c’est impossible si on considère tout le temps que ça m’a pris rien que pour découvrir son nom. Ce n’est donc plus qu’une question de temps avant qu’il ne finisse par terminer le travail qu’il a commencé, mais ça ne m’empêchera pas de donner tout ce que j’ai pour autant le moment venu. La mort ne m’effraie pas.

Les réponses suivantes se succèdent, toutes plus surprenantes les unes que les autres. C’est toujours avec un calme remarquable qu’Alex souligne le fait qu’il ne sait pas encore ce qu’il adviendra avec les prochaines attaques Fratres à venir dans le Nord. En revanche, je crois bien que ma mâchoire est sur le point de se décrocher lorsque je l’entends prononcer le nom d’Hannah Johnson en me parlant des Finnigan. Hannah ? Une FINNIGAN ?! Et qui plus est la fille d’Aedan et la nièce de Declan ! Mais comment est-ce qu’Alex peut bien être au courant de ça ? Je ne suis même pas sûre que Declan lui-même le savait et quand bien même il l’aurait su, il l’aurait forcément appris depuis peu. Quant à la dernière réponse d’Alex, c’est sans doute la seule chose qui n’est pas claire, notamment lorsqu’il commence à parler d’explication bancale.

« Comment ça ? »

Il parait si impassible et détaché à cet instant que je suis à mille lieues d’imaginer ce qui va suivre. Bizarrement, Alex et moi avons déjà été plusieurs fois à des distances physiques relativement proches voire même très proches, ce qui fait que je ne me méfie pas plus que cela lorsqu’il s’avance vers moi. Mais une main contre ma nuque et un baiser, c’est quelque chose de complètement inédit et c’est en fait... la première fois. Par réflexe, mon poing est déjà fermé et prêt à s’abattre contre la figure du vampire, pourtant il ne frappe pas tout de suite. Cette sensation... Elle est identique à celle que j’ai ressentie la dernière fois que ses lèvres étaient descendues le long de mon cou en l’effleurant juste pour me montrer les effets décuplés des sensations sous l’effet du sang de vampire. Si j’avais automatiquement mis ça sur le compte du sang de vampire, cela fait bien longtemps que le sang d’Alex a quitté mon organisme. Je n’ai même pas le droit d’y songer... pourtant je me surprends à partager ce baiser l’espace d’un instant et pire encore, à l’apprécier également, même si je ne l’avouerai jamais. Mais bien vite, ce sont mes automatismes qui reviennent et mon poing finit par s’abattre contre la joue du vampire avant de venir le plaquer contre le mur. Il pourrait s’attendre à ce que je sois en colère tout comme je pensais l’être, mais en réalité je suis troublée.  

Depuis le départ, il y a quelque chose que je ne parviens pas à expliquer dans mon attitude vis-vis d’Alex. Suite à ma dernière conversation avec Jodie, j’avais fini par me dire que c’était peut-être parce que je commençais à apprécier le vampire, bien que ce ne soit pas une raison suffisante pour en arriver à trahir les Fratres pour l’aider tout comme ce n’est pas une raison suffisante pour lui de me sauver des mains d’Ethan et de me guérir. Et si j’ai cherché toutes les raisons possibles afin de pouvoir expliquer les actes d’Alex ainsi que les miens, celle-ci est la seule à laquelle je n’avais jamais songé... D’une part parce qu’elle est impossible, d’autre part parce que j’ai toujours dressé une multitude de barrières afin de ne jamais éprouver ce genre d’émotions et que du coup je ne les connais pas. Je suis un concentré de force brute, et pour être un parfait soldat, il ne faut rien ressentir. Qu’est-ce qui se passerait si un jour, quelqu’un parvenait à faire sauter ces barrières ?

« Je n’aime pas votre explication... Elle n’est pas... Rationnelle. »

C’est sans doute encore moins rationnel de ma part de venir retrouver ce contact et de l’embrasser à mon tour, à mon plus grand étonnement et sûrement au sien également, déposant mes mains contre son torse sans chercher à user de violence cette fois mais de savoir tout simplement ce que ça fait... juste une fois, d’être véritablement moi-même. N’allez pas me demander pourquoi, c’est la première fois que j’éprouve cette envie envers quelqu’un et ce n’est pas comme si je savais la maitriser. Peut-être que c’est ça mon problème en fin de compte... Peut-être que je n’arrive plus à être le parfait soldat capable de ne rien éprouver. Peut-être que tout comme Alex, j’ai aussi besoin de savoir si cette réponse tient la route et d’en avoir le cœur net, pour pouvoir enfin comprendre. Pour la première fois, je découvre et je laisse ce désir s’exprimer, le temps d’un baiser. Autant dire que pour les convictions et les croyances on repassera, ce n’est pas sans raison si toute forme de tentation est déconseillée chez les Fratres, mais j’aurais tout le temps de regretter ce geste plus tard. Je lève mon regard vers le vampire, un peu gênée. Je ne sais pas de quelle manière Alex interprètera ce baiser, ni même s’il ne regrette pas déjà. Je n’ai pas oublié que tout est décuplé chez les vampires, le bon comme le mauvais.